Refus de prêt immobilier à cause du taux d'usure :
Combien de dossiers bloquent vraiment?
Les taux d'usure sont-ils oui ou non en train de bloquer le marché? D'un côté, les courtiers affirment que 45% des dossiers ne passent plus. La faute à la remontée des taux nominaux bancaires, qui tournent aujourd'hui autour des 1,85% en moyenne sur 20 ans. Et à l'étau qu'ils forment, de plus en plus enserré, avec le taux d'usure. Ce dernier est le taux maximal, fixé et actualisé par la Banque de France tous les trimestres, auquel les établissements bancaires ont le droit de prêter. Il est aujourd'hui à 2,57% pour les durées de 20 ans ou plus et prend en compte les frais annexes ainsi que les assurances du futur prêt.
Un étranglement que ne constate pas François Villeroy de Galhau. "Le crédit immobilier reste très dynamique, on est à plus de 6% de croissance", affirmait-il sur BFM Business. "Les taux remontent progressivement. Au mois de juillet, on était en moyenne à 1,45% (…) Les taux restent très favorables et le crédit immobilier reste très bien financé". Et il ajoutait concernant les taux de refus: "Ce chiffre est très peu crédible (…). Je démens le chiffre de 40 ou 45% de refus".
Où se situe donc la réalité? Tout d'abord, il faut comprendre que les courtiers et le gouverneur de la Banque de France n'ont pas la même temporalité. Lorsque le gouverneur parle d'une croissance de 6% ou de taux de 1,45%, il parle des crédits qui ont été effectivement signés. Donc négociés deux ou trois mois avant. Plus précisément, comme le souligne le dernier communiqué publié début septembre par la Banque de France sur le sujet, l'encours des crédits à l'habitat (autrement dit l'ensemble des prêts restant à rembourser par les ménages, et qui ont été souscrits au cours des derniers mois ou il y a plusieurs années) a progressé de 6,4% en juillet sur un an (et de 6,3% sur un an en août). Mais le montant des nouveaux crédits à l'habitat est lui en net repli, à 20,6 milliards d'euros en août dernier contre 23,8 milliards d'euros en août 2021, selon les premières estimations. Soit une baisse de 13,4% sur un an.
Par ailleurs, le chiffre de 1,45% en moyenne pour les crédits correspond au TESE (taux effectif au sens étroit). Or, la limite du taux d'usure ne fait pas référence à ce taux mais au TEG (taux effectif global), appelé aussi TAEG (taux annuel effectif global). Et dans son communiqué, la Banque de France elle-même précise qu'en "ajoutant 60 points de base (0,60 point de pourcentage, NDLR) valeur moyenne correspondant au passage du TESE au TEG, le taux moyen reste très signifcativement inférieur au taux de l'usure". Autrement dit, le TEG en juillet (selon la Banque de France) tourne déjà en réalité autour de 2,05%.
L'Observatoire Crédit Logement/CSA, qui fait office de référence dans le secteur, estime pour sa part que le taux moyen des nouveaux crédits (hors frais et hors assurances) étaient de 1,82% en août. Mais là encore, il s'agit des taux des crédits effectivement débloqués, pas des taux de marché actuels.
Les courtiers, eux, parlent des offres à l'instant T. "Les taux moyens sont encore en augmentation à 1,5% sur 15 ans, 1,75% sur 20 ans et 1,90% sur 25 ans, mais de plus en plus de banques affichent désormais des taux supérieurs à 2% sur 20 et 25 ans", constate ainsi pour le mois de septembre le courtier Vousfinancer. Et il faut encore y ajouter les taux de l'assurance emprunteur ainsi que les frais de dossier pour ne pas dépasser le taux d'usure.
Des dossiers de crédit filtrés en amont
Ensuite, le gouverneur de la Banque de France constate les dossiers effectivement refusés. Les dossiers qui ont été étudiés par une banque et qui après analyse ont été refusés. Or aujourd'hui, beaucoup de dossiers ne passent même plus cette étape-là. Les banques les refusent avant analyse, uniquement car sur simulation le TAEG dépasse le taux d'usure. Ces dossiers refusés avant même analyse ne sont pas comptabilisés. Si le gouverneur de la Banque de France ne les voit pas, les courtiers eux les constatent.
Sandrine Allonier, qui s'occupe de la communication de Vousfinancer, précise pour BFM Immo: "Les dossiers sont filtrés à différents niveaux, ce qui explique qu'au bout de la chaîne, les réseaux d'agence immobilières comme L'Adresse n'aient eu cet été que 20% de compromis cassés à cause d'un refus de prêt. Tout d'abord, il y a l'auto censure et l'attentisme des emprunteurs potentiels qui reportent leur projet de peur de ne pas pouvoir emprunter. Ensuite le filtrage du courtier: dans certaines agences 70% des simulations lors du 1er rendez-vous ne passent pas l'usure... donc les dossiers ne sont pas présentés ou pas en l'état. Ensuite, le refus des banques de prendre ou d'étudier des dossiers car supérieurs à l'usure ou pas dans leurs critères. Et enfin, le refus effectif des banques mais le dossier peut ensuite être présenté une 2ème fois si elles demandent plus d'apport par exemple, ou avec un autre montage, ou en révisable... Et du coup aboutira quand même à un accord, mais François Villeroy de Galhau n'aura pas su que ça aurait pu être un refus sans l'effort du courtier ou du banquier, effort que tous ne font pas. C'est pour cela que la notion de taux de refus est différente selon les acteurs, et le nombre de filtres qui ont été appliqués au dossier avant son arrivée sur le bureau du banquier".
Et ce refus d'études des dossiers par les banques est un véritable problème. Non seulement, le particulier n'obtiendra pas son prêt mais il n'aura pas non plus sa lettre de refus officielle. Or, très souvent, dans les compromis de vente il y a une clause qui oblige l'acheteur à obtenir plusieurs lettres de refus s'il n'a pas de prêt, sinon il paiera un pourcentage du prix de la vente (souvent autour de 10%).